Marc, spécialiste de l'Intelligence Artificielle
Marc, spécialiste de l'IAMarc Dupont, 26 ans, a effectué son doctorat au laboratoire IRISA en thèse en entreprise (CIFRE) chez Thales. Aujourd’hui, docteur, il travaille à Paris, chez Cisco, pour intégrer de l’Intelligence Artificielle (IA) dans les réseaux informatiques.
Durant sa thèse Marc a mis au point un gant « intelligent » qui reconnait les gestes. L’objectif est de piloter un robot, sans utiliser de joystick, en milieu dit hostile pour les militaires, pompiers, etc. Lorsqu’on met le gant, d’abord on « apprend » au robot la signification de chaque geste : par exemple, quand on lance le bras en avant, ça veut dire qu’il doit avancer ! Assez vite, le système comprend les gestes à la volée et on peut commencer à piloter le robot avec une petite dizaine de commandes : avancer, reculer, à gauche/droite…Explications détaillées.
Marc, quel est ton parcours ?
Un scientifique comme plein d’autres ! Avant le doctorat, j’ai eu un parcours d’ingénieur assez classique : j’ai commencé par une classe préparatoire scientifique au lycée Fénelon, à Paris, qui m’a donné mon premier bagage scientifique solide et m’a conduit en 2010 à l’École Centrale de Lille. Malgré la couleur généraliste de l’école, j’ai tenté de me spécialiser le plus possible sur les domaines qui liaient les mathématiques et l’informatique et leurs applications car c’est à la jonction des deux que j’aime travailler.
Ce que j’allais faire après l’école d’ingénieur ? C’est une question que je me suis posée pendant quasiment tout mon temps à Lille. J’ai fini par voir que j’appréciais lire des publications scientifiques, regarder ce qui se faisait de pointu dans le domaine, et naturellement, j’ai donc choisi de m’orienter vers la recherche. Mon sujet précis de thèse traite de la reconnaissance gestuelle pour les robots militaires ; pour faire simple, il s’agit de mettre au point un gant « intelligent » qui sache reconnaître les gestes que l’on fait afin de manœuvrer un robot sur le terrain.
Comment as-tu choisi ton sujet de thèse ?
Mon projet initial était le suivant : je n’avais pas d’idée particulière mais j’étais convaincu que des laboratoires et des entreprises avaient des tas de problèmes fantastiques à résoudre, auxquels je n’avais absolument pas pensé. Ainsi, quand j’ai cherché une thèse, j’ai visé une fourchette de thématiques assez large pour être à l’écoute des sujets de thèses proposés par les entreprises : machine learning, calcul distribué... Lors d’un forum interne chez Thales, j’ai déposé mon CV, et par coïncidence, il se trouve qu’un poste de thèse en cours de préparation a été diffusé quelques jours après. Ça c’est fait assez vite à partir de là.
Pourquoi s’intéresser à celui-ci ?
Je pense qu’on vit une époque formidable : les avancées technologiques ont permis l’ouverture de thématiques de recherche passionnantes, que l’on n’aurait pas imaginé il y a quelques décennies encore. Le champ de l’intelligence artificielle est vraiment vaste. De manière simplifiée, le Graal serait d’être capable de reproduire le comportement d’un humain avec des instructions informatiques : comprendre la voix, le texte ou l’intention, expliquer une image ou une vidéo, savoir se déplacer dans un parcours d’obstacles ou même, tout simplement, attraper un ballon avec la main… Ce sont des tâches qui nous paraissent simples en tant qu’humains mais que l’on peine à faire faire à un système informatique parce que la seule manière que l’on a de les programmer est très différente du fonctionnement du cerveau humain. Et chacun de ces problèmes est déjà très difficile en soi à résoudre… Alors, la recherche avance à petit pas en essayant déjà de les régler séparément, chaque chercheur s’inspirant de la manière dont son voisin arrive à résoudre son petit problème local d’intelligence artificielle. A ce titre, j’aime bien voir mon sujet de thèse de reconnaissance gestuelle comme une micro-problématique de l’intelligence artificielle parmi des centaines d'autres. Je pense que ça mérite réflexion, non pas parce que l’on cherche à reproduire l’humain mais plutôt parce qu’on cherche à le comprendre.
Quelles pistes de réflexion ou applications concrètes de celle-ci ?
Le prototype de gant que j’ai mis au point a été satisfaisant d’un point de vue recherche car il a permis de débloquer les questions pour lesquelles on avait le moins de réponses : un ordinateur est-il capable de reconnaître des gestes dans des cas d’applications très spécifiques, hors du laboratoire, avec un opérateur militaire qui peut avoir énormément de gestes parasites du fait qu’il court, qu’il s’accroupit… Cela change des situations habituelles de la reconnaissance gestuelle qui s’intéressent surtout aux environnements de type jeux vidéo, pour lesquels d’autres capteurs et d’autres algorithmes fonctionnent déjà bien.
La suite logique serait donc d’en faire une version plus industrialisable, avec un processus d’ingénierie complet, une intégration matérielle plus évoluée, etc. D’un point de vue recherche, il y a de nombreuses questions qui restent en suspens car j’ai dû faire beaucoup de choix durant le processus : quel genre de gestes veut-on détecter ? Quelle est leur signification ? A quel point veut-on que l’utilisateur « apprenne » les gestes au robot ? etc. Si l'on change l’un de ces paramètres, on se retrouve dans une situation dont le problème et ses contraintes sont définis différemment et il y aura donc d’autres manière d’y répondre.
Et au quotidien, une thèse ça se prépare comment ?
C’est assez proche d’un poste d’ingénieur classique ! Il y a seulement quelques différences. La première, c’est un attachement personnel au sujet. Assez vite, on se l’approprie physiquement et on se rend compte que l’on ne travaille plus pour une entité externe comme un laboratoire ou une entreprise mais avant tout pour soi. C’est exaltant mais cela va aussi de paire avec une certaine pression et on peut parfois se laisser emporter par nos doutes et nos incertitudes.
La deuxième, c’est une grande autonomie et liberté. Forcément, c’est de la recherche donc on peut faire ce qu’on veut mais cela veut aussi dire que l’on est responsable de nos choix et qu’il faut les assumer scientifiquement parlant. La thèse requiert aussi un peu de créativité et d’inspiration car on attend du futur docteur qu’il ait apporté une contribution nouvelle à son domaine de recherche.
Tes journées s’organisaient comment ? Des différences sur les 3 ans ?
Globalement, j’ai surtout organisé mes journées autour de plusieurs occupations principales : m’informer de ce que « fait le voisin » en lisant les publications scientifiques du domaine, noircir des pages de diagrammes et d’équations, écrire beaucoup de code, tester, re-tester… Et heureusement, ce travail quotidien s’accompagne aussi d’un contact humain : j’ai pu apprendre beaucoup auprès des chercheurs de mon laboratoire, de mon entreprise, et de ceux que j’ai rencontré en conférences.
La première année, c’était surtout pour explorer le sujet en surface et voir comment on allait mettre en place une solution au problème de la reconnaissance gestuelle. Il fallait aussi délimiter le problème de manière claire, en définissant bien les objectifs et surtout les contraintes. J’étais majoritairement chez Thales, en entreprise, pour cette étape.
La deuxième année a été le moment d’étudier certains points précis en profondeur : dans mon cas, il a s’agit de creuser les techniques de machine learning qui sont utilisées pour la reconnaissance des gestes. J’ai passé cette deuxième année à l'UBS, au laboratoire IRISA, et c’est là que j’ai commencé à avoir mes premiers résultats sérieux de reconnaissance gestuelle.
En troisième année, je suis retourné chez Thales et j’ai essayé de peaufiner certains morceaux de la chaîne de traitement qui ne marchaient pas très bien. L’occasion pour moi d’être créatif et de publier quelques idées que j’ai eu la liberté d’implementer dans mon prototype de gant.
Quels conseils donnerais-tu aux étudiants de master pour se lancer dans une thèse ?
Toutes les thèses sont différentes ! Deux doctorants n’auront pas forcément la même expérience. Ceci étant, je pense que c’est plus facile de se lancer si on a une petite graine de curiosité et d’intérêt pour la matière. Il faut être intéressé par le sujet, sinon c’est trop difficile de tenir trois ans. J’étais moi-même extrêmement enthousiaste de travailler sur un sujet d’intelligence artificielle comme le mien mais, au final, il y a des moments où on veut tout laisser tomber, on se dit que l’on pourrait faire des tas de choses différentes..mais non, il faut aller au bout du processus engagé !
Donc, une dose de passion, une dose de ténacité et puis ne pas avoir peur d’y aller si on se sent un minimum d’attrait pour la recherche. A mon avis, c’est une chance formidable d’avoir accès à un cursus doctoral de nos jours, il ne faut pas hésiter si on se sent l’âme d’une carrière à forte dimension technique.
Qu'est ce qui t'a marqué dans cette expérience ?
Entre autres, j'ai pu voir que faire de la science est quelque chose de passionnant mais difficile. Derrière tout résultat scientifique, il y a beaucoup de nuances et j’ai appris à lire entre les lignes. Cela m’a donné aussi le recul nécessaire pour mieux respecter certains travaux qui peuvent sembler simplistes alors qu’ils cachent beaucoup de réflexion. C’était aussi une chance de pouvoir rencontrer et travailler avec d’autres chercheurs et de voir comment se passe le quotidien d’un environnement de recherche académique.
Est-ce-que cette thèse a eu d'autres conséquences pour toi ? Des perspectives d’emploi ?
Oui, sur ce plan-là j’ai beaucoup de chance ! Initialement, j’ai été attiré dans le domaine principalement par curiosité scientifique mais il se trouve que les experts en machine learning sont très demandés en ce moment, donc j'ai le choix parmi beaucoup d'opportunités d'embauche. Il faut voir aussi que le PhD est un diplôme très lisible à l’international, donc c’est plus facile d’approcher une entreprise étrangère qu’avec un diplôme d’ingénieur français seul.
Et après ? Qu’aimerais tu faire ?
Je souhaite continuer dans ce type d’applications très techniques qui mêlent une bonne compétence en mathématiques avec une grosse dose de programmation. Après ma thèse, j’avais vraiment envie de travailler dans un autre domaine d’application et j’ai eu des opportunités dans plein de milieux : les voitures autonomes, les chatbots ou même l’aide à l’automatisation dans le bâtiment ! Au final, j’ai choisi de travailler dans les réseaux informatiques, chez Cisco, où j’apporte mes compétences pour rendre les routeurs plus « intelligents » faces aux menaces extérieures. C’est à la fois très proche de ce que je faisais en thèse car on applique des techniques très similaires mais aussi très différent car le domaine d’application n’a rien à voir. C’est un mélange qui me correspond bien.